GUILLAUME NOUAUX
« THE CLARINET KINGS» (Auto Production 2019)
En voilà une idée! Notre indispensable Guillaume Nouaux sait maintenir la curiosité de ses admirateurs. Il se renouvelle sans cesse sans quitter le navire jazz. Il évoque pour étincelle sa rencontre avec les vinyles Zutty Singleton & the Clarinet Kings (Manassas, février 1967, Fat Cat 100 et 101) où le batteur de légende était entouré de Tommy Gwaltney, Sammy Rimington (cl) et Bob Greene (p), mais pas seulement: Walter Harris (tb), Van Perry (b). Quelque peu l'aîné de Guillaume, je suis au début des années 1960 tombé fou de trios signés Jelly Roll Morton et les frères Johnny et Baby Dodds (1927, “Wolverine Blues”) et Jelly Roll Morton, Omer Simeon, Tommy Benford (1928, “Shreveport Stomp”) en 33 tours RCA 430269 (texte d'Hugues Panassié), mais aussi Albert Nicholas avec Claude Bolling et Kansas Fields (juin 1955, “High Society”) !
Quel bonheur de voir que Guillaume Nouaux relève le défis de cette formule en trio. Le résultat est inespéré en 2019. Non seulement ça tient la route face à ces repères
historiques mais c'est vivant, pas de reconstitution au quart de croche près de la matrice
n°XXX !
Oh, il y a bien eu quelques réussites antérieures à ce double CD, comme la “Mauve
Decades” par Bobby Gordon, Keith Ingham et Hal Smith (1993, Sackville 2-2033) et les New
Orleans Trios de Trevor Richards, héritier du matériel de Zutty, en 1990 (avec Peter Müller
et Butch Thompson, "Stomp Off" 1222) et en 1994 avec Orange Kellin et Red Richards, NOJP
CD-1. Mais là, c'est plus énorme et le projet a été difficile et long à concrétiser.
Onze clarinettistes de nationalités diverses et quatre pianistes dans un programme riche en
bonheurs d'écoute. C'est aussi une provocation aujourd'hui. Glorifier la clarinette dans un
monde sax dominant. La clarinette est ici dans tous ses éclats. Ne comptez pas sur moi
pour classer en terme de meilleurs; Louis Armstrong disait que le problème n'est pas d'être
le meilleur, mais de faire de son mieux... et ils ont tous réservé le mieux pour Guillaume.
Quelques réactions:
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Le CD1 débute par un “Minor Drag” avec Esaïe Cid où le drumming de Guillaume rappelle ce qu'il doit à l'étincelle, Zutty Singleton.
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L’introduction d'Evan Christopher à “Melancholy Blues” doit plaire là-haut à Johnny Dodds (beaux et courts échanges de classe entre Evan et Monsieur “Zutty” Nouaux). Notons que les tempos entre chaque thème sont variés.
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J'entends un quelque chose de Bob Wilber dans le solo d'Antti Sarpila sur “Yours Is My Heart Alone” qui vaut aussi pour les solos de Filastro et Nouaux.
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Surprise le 4e titre, “Moanin'” de Bobby Timmons est un duo batterie et piano de 3'53'' qui confirme qu'un batteur-musicien ça existe. Enfin quelques-uns dont Guillaume Nouaux.
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Belle homogénéité de registres d'Eiji Hanaoka dans “Stealin' Apples” (et bien sûr les breaks de Maître Guillaume).
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Belle prestation d'Harry Kanters dans “Sophisticated Lady” avec un David Lukacs goodmanien dans l'introduction.
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L'accompagnement de batterie derrière le solo de Kanters dans “Tokyo Express” vaut le coup d'oreille. Morceau bien introduit par Roberscheuten et Nouaux.
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Emotion ensuite avec le trio régulier de Monsieur Nouaux qui ne pâlit en rien dans cette “confrontation” amicale: l'admirable Jérôme Gatius nous propose le “Burgundy Street Blues” de George Lewis sur le piano judicieusement basique d'Alain Barrabès et des roulements adéquates de Nouaux.
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Beau registre grave de Lars Frank dans “Honeysuckle Rose”.
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Sur un tempo légèrement plus lent que d'habitude on admire la musicalité (digne de Barney Bigard) d'Aurélie Tropez dans “Confessin'”.
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L'interconnexion entre Engelbert Wrobel et Nouaux est parfaite pour “China Boy”, vif comme il se doit.
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Enfin Jean-François Bonnel est admirable de lyrisme dans la coda de “Blue Turning Grey Over You”. Son introduction faisait aussi penser à Bigard (normal, c'est une sonorité de référence pour la clarinette).
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Le CD2 commence avec le retour de Zutty dans l'introduction à “Nouaux-Leans Strut” un morceau original signé Evan Christopher qui bien sûr n'oublie pas la touche latine. Jacques Schneck y est excellent au piano. Quant au solo et à l'accompagnement de Guillaume...c'est magistral.
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Il passe à une démonstration de balais dont il est un incontournable dans “Just One of Those Things” joué sur tempo vif en compagnie de David Lukacs (né à Breda en 1978) et Harry Kanters. Gene Krupa aurait été sidéré.
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Comme Max Roach devant ce “Broadway”, deuxième duo batterie-piano avec Schneck.
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Le Norvégien Lars Frank fait une belle démonstration dans “Liza”; on écoutera l'accompagnement de Nouaux sur le solo de Barrabès.
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Le nééerlandais Frank Roberscheuten (né en 1962) rend hommage à Bigard dans sa très belle composition “Ballad for the Man from the South” (Harry Kanters et les balais de Nouaux participent à la réussite).
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Le trio régulier propose “Shreveport Stomp” dont on connait les difficultés dont Jérôme Gatius n'a que faire.
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Benny Goodman s'étonnerait qu'on fasse aussi bien que lui dans “Moonglow” ici interprété par Wrobel, Barrabès et l'attentif leader.
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Aurélie Tropez dévoile cette fois sa virtuosité et son swing (avec quelques trilles à la Noone) dans “Somebody Stole My Gal” (notez aussi le solo de Monsieur Nouaux).
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Le Japonais Eiji Hanaoka qui a joué avec Buddy de Franco, Eddie Daniels, Peanuts Hucko, Bob Wilber se hausse à leur niveau dans “Candy” où Guillaume Nouaux invoque Krupa pour cet hommage à Goodman.
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Belle introduction de clarinette et jeu de balais à ce “If Dreams Come True” que nous propose Jean-François Bonnel. Bon solo d'Alain Barrabès.
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Luca Filastro a concocté une jolie introduction à ce “Wrap Your Troubles in Dreams” joué par le barcelonais Esaïe Cid qui évoque Bigard dans les graves pour mieux s'en échapper au-delà. Le solo de Filastro est aussi très bon.
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On termine avec le Finlandais Antti Sarpila (né en 1964) qui avec la complicité de Luca Filastro annonce de façon “opératique” un “Avalon” en up tempo. Déferlante de Maître Guillaume en prime.
A moins d'être clarinettophobe ou hostile aux batteurs,
vous ne pouvez pas vous passer d'une telle réussite artistique.
MICHEL LAPLACE